mardi 3 novembre 2009

öchsnerfabrik _

«Tu ne seras construit que quand tu seras en ruine»: affectionné par l’artiste, ce proverbe soufi est une jolie synthèse de la pratique artistique d’Ana Göldin et en souligne les priorités et les contradictions.
Le principe du collage, sous toutes ses formes, est au cœur de l’œuvre d’Ana. Collage de photos découpées dans des magazines puis amalgamés, remixées pour évoquer une réalité mutante et subversive. Collage de petits morceaux de films, saisis et assemblés dans l’instant par un téléphone portable, semblables à des bouts de phrases griffonnés dans un bloc-notes. Collage de mots, d’influences, de citations qui sont empruntés, détournés, voire même parfois méchamment massacrés au gré de poèmes organiques et ironiques. Collage d’inspirations aussi, les créations d’Ana s’entrelaçant dans la musique composée par mnNsk, son alter ego du collectif deadfish alter-nativ.
Du collage on verse parfois dans le décollage. A travers ses œuvres, Ana Göldin ambitionne de te faire quitter la terre ferme, de t’apprendre à voler avec tes oreilles et à écouter avec tes yeux. La demoiselle donne occasionnellement dans la «démultiplication de temporalités hétéroclites totalement désynchronisées», voire même dans les «nébulosités spatio-temporelles, agrégats de singularités foudroyantes». Non, ne cherche pas, il n’y a pas de mode d’emploi. Pas assez souples pour ce genre de voltige, certains se contenteront de bailler avec la bouche ou de hausser les épaules: pas grave, le crash fait aussi partie de la démarche de l’artiste. Et tant pis s’il y a de la casse ou si une partie du public s’égare en chemin.
La cohérence de l’œuvre naît aussi des motifs qui la rythment: lampes néons, slogans et citations en morceaux, objets technologiques, couvertures de livres en pagaille, images pop ou commerciales délicieusement désuètes qui poussent au sarcasme ou à la méditation, nappes synthétiques et percussions binaires, bricolage et répétition. Une grammaire qui te paraît immédiatement familière, puisque c’est celle de ton quotidien.
«Cohérence», cela dit, c’est un terme beaucoup trop convenable. Ana Göldin (qui ne s’appelle pas vraiment Ana Göldin), préfère l’impertinence. L’univers est son carré de sable, elle peut y construire des châteaux somptueux, mais si elle veut, elle casse tout et elle te file un coup de râteau en prime. Si tu as envie d’entrer dans sa tête, il faut accepter de jouer, et dès que tu penseras avoir compris ses règles, elle les auras peut-être réécrites. Oui, parfois, ça énerve.
Dans son travail, Ana Göldin te confronte aux fragments d’un monde mélancolique, brisé de partout, mécanique et oppressant, et te met au défi d’y mêler ta fantaisie et ton affection. Cette époque et ses aventures mercantiles et technologiques ont eu beau se solder par de cuisants échecs, l’artiste t’y fait découvrir des lieux de rêverie infime dans lesquels elle te fait circuler au gré de ses pérégrinations et de son intuition. Tu peux t’y sentir seul ou éclater de rire (mais n’est-ce pas la même chose ?)
_julien hirt

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